jeudi 28 avril 2011

Les années

« Tout s'effacera en une seconde. Le dictionnaire accumulé du berceau au dernier lit s'éliminera. Ce sera le silence et aucun mot pour le dire. De la bouche ouverte il ne sortira rien. Ni je ni moi. La langue continuera à mettre en mots le monde. Dans les conversations autour d'une table de fête on ne sera qu'un prénom, de plus en plus sans visage, jusqu'à disparaître dans la masse anonyme d'une lointaine génération. »

Annie Ernaux, Les années

Le bégayement

« Marilyne a une vertèbre croche dans le bas du dos et nous pensons que c’est ce qui occasionne ses maux de jambes. Pendant la durée du traitement, elle devra arrêter de faire du s-s-s-s-s-s-s-s-sport, du sport. »

Je jette un regard interrogateur à maman qui me lance un bref coup d’œil sévère. J’ai envie de rire de ce que le monsieur a fait. Ma mère est toute rouge, alors j’en déduis qu’il faut se retenir. Je regarde fixement ma mère qui regarde fixement le physiothérapeute qui me regarde fixement. Un malaise qui dure une éternité. La suite n’est pas importante.

samedi 23 avril 2011

La noix de coco de Pâques

C’est Pâques et ma mère court partout. Dès que le trio familial est levé, elle demande à papa de casser la noix de coco traditionnelle de Pâques. Je suis en pyjama de flanelle et je n’ai pas encore pris mon petit déjeuner, mais ça ne me dérange pas trop. Je suis nerveuse. Mon père commence par trouver un couteau très coupant et il tente de scier l’écorce du fruit, mais rien de réellement efficace n’a lieu. Il se rend dans son atelier et il revient avec un marteau. Il le frappe bruyamment contre la noix de coco de Pâques. Bang Bang Bang caliss de tab Bang Bang nak de cri Bang Bang Bang. Maman rit, comme elle a l’habitude de le faire lorsque mon père perd le peu de patience qu’il a. Papa a changé de couleur : il est maintenant plus violet que jamais. Il retourne avec sérieux dans son antre. L’heure est grave. Quelques secondes plus tard, il est dans la cuisine avec une perceuse à trous électrique. Je me mords les lèvres pour ne pas exploser. Papa sacre. Maman hurle de rire. Pâques est toujours une fête spéciale.

vendredi 15 avril 2011

Les nuages

Je suis assise à la table pique-nique chez ma tante Rachel, avec une pile de feuilles et ma boîte de précieux crayons Prismacolor. Il vente alors par expérience, je vais chercher une généreuse poignée de cailloux blancs que j’utilise comme presse papier. Je dessine une maison. J’aime ce que je fais, même si les cailloux blancs ne sont pas aussi efficaces que la veille et que les coins de ma feuille se courbent sous l’effet du vent. Je cherche le crayon bleu que j’utilise normalement. Je lève les yeux au ciel pour m’inspirer la forme d’un nuage. Stupéfaction. Ça doit être une erreur. Je m’empresse d’aller chercher mes autres dessins dans la maison. Les nuages. C'est impossible. De retour à l’extérieur, mes yeux passent du ciel à mes dessins, du ciel à mes dessins, du ciel à mes dessins, des centaines de fois. Je ne le crois pas. Mes yeux s’emplissent de larmes. Les nuages, je les ai toujours faits bleus, mais ils sont blancs. Le ciel, je l’ai toujours laissé blanc, mais il est bleu. J’ai été dans l’erreur pendant si longtemps.

mardi 12 avril 2011

Je hais les feux d'artifice

Je suis avec ma copine Anne dans le sous-sol de sa maison et on essaie de se mettre du mascara pour la première fois de notre vie. Quelqu'un sonne à la porte et Sylvie me hurle de monter. C'est mon amoureux.

« Marilyne, on va arrêter de sortir ensemble. Seb m’a promis d’aller faire péter la boîte de feux d’artifice au complet ce soir si je te laissais. Il m’attend derrière les sapins. »

Pleurer, ça fait couler le mascara. Ça, je l'ai bien compris. Va chier Patrick Laforest.

mardi 5 avril 2011

David Copperfield

David Copperfield, c’était mon rêve. Toute la famille y est, j’ignore pourquoi. Un court métrage en noir et blanc montrant des grosses madames qui essaient de voler avec d’anciens planeurs et des monsieurs chics qui tombent dans la poussière est présenté. Maman explose de rire. Mon père semble inquiet : il la connaît trop bien. Mon oncle Gaëtan, chanteur d’opéra, hurle de rire à son tour. Ma mère est pliée en deux dans son siège, Gaëtan a la main droite sur son cœur, maman a des larmes sous les yeux, mon oncle manque d’air. Le plus beau fou rire de l’histoire de l’humanité. La vidéo est courte, mais elle semble longue longue longue. Elle se termine enfin, la salle est encore et toujours silencieuse, mais eux ils rient encore, personne ne comprend pourquoi. Je ne me souviens d’aucun tour de magie.